Bitcoin : Chronique d’un bien monétaire commun

Vers une monnaie neutre, égalitaire et libératrice

L'image contient les symboles suivants, de gauche à droite après le logo Bitcoin : ✊ Poing levé : symbole classique de résistance populaire, utilisé historiquement dans les luttes syndicales, socialistes, antifascistes et décoloniales. Il incarne la solidarité et la lutte contre l'oppression. ☭ Faucille et marteau : emblème du communisme, représentant l’union entre ouvriers (marteau) et paysans (faucille), popularisé par l’URSS. ★ Étoile noire : symbole associé à l’anarchisme, notamment à ses courants collectivistes ou mutualistes, mais aussi à certains socialismes libertaires. Elle évoque l’égalité sans hiérarchie.

Un bien commun monétaire. Une monnaie qui refuse l’usure. Une promesse déflationniste qui ne saigne pas les classes populaires. Un outil d’émancipation pour le salarié, le paysan, l’artisan, l’indépendant. Face aux rentiers, aux banquiers centraux et aux gestionnaires de crise permanente, Bitcoin se dresse, silencieux, inarrêtable, neutre.

Souvent réduit à une lubie techno-libertarienne, Bitcoin porte pourtant en lui bien plus qu’une simple critique de l’État ou de la monnaie. Il incarne, à sa manière, une radicalité égalitaire. Il s’inspire autant d’Hayek que de Marx, autant des anarchistes espagnols que des cypherpunks californiens. Il est une faille dans le monopole monétaire. Il est une promesse d’ordre, sans maître.

Ce texte explore cette possibilité : et si Bitcoin n’était pas seulement un actif spéculatif, mais un bien commun à portée universelle ? Une forme de souveraineté populaire monétaire ?


I. Bitcoin, bien commun et égalité d’accès

Dans un monde où la monnaie est devenue un privilège – d’accès, de création, de circulation – Bitcoin propose un renversement complet. Il ne demande ni autorisation ni identité. Un téléphone, une connexion, une clé privée : c’est tout ce qu’il faut pour entrer dans le réseau. Nulle frontière, nulle hiérarchie, nulle barrière à l’entrée.

Le système bancaire exige des justificatifs, une réputation, un historique, un passeport. Bitcoin ne demande rien. Il ignore votre statut, votre revenu, votre origine. Il applique la même règle à tous, sans distinction. C’est la fin du seigneuriage d’État, la mort du privilège bancaire.

Et parce qu’aucune autorité ne peut censurer ou bloquer une transaction, Bitcoin donne un pouvoir inédit : le contrôle absolu sur ses fonds. Le droit de posséder, de transmettre, d’épargner – sans permission. Il réalise, numériquement, ce que l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme proclamait : « la propriété est un droit inviolable et sacré. »

Sa comptabilité est publique, son code est libre, ses règles sont prévisibles. Le mineur congolais et le banquier suisse jouent avec les mêmes cartes. La monnaie cesse d’être une construction opaque et hiérarchique ; elle devient un outil commun, accessible, vérifiable, reproductible.

Karl Polanyi affirmait que « la monnaie est une relation sociale, pas un objet ». Bitcoin, en inscrivant cette relation dans un protocole partagé, garantit que plus personne ne pourra en monopoliser l’accès. Ce n’est plus l’État, ni la banque, ni le marché qui régule l’entrée dans le système : c’est le code, transparent, distribué, et non falsifiable.

Bitcoin, à ce titre, résonne étrangement avec les idéaux socialistes et libertaires : à chacun selon ses besoins, de chacun selon ses capacités — sans privilège, sans rente, sans arbitre.


II. Néo-libéralisme, effet Cantillon et captation de la monnaie

Depuis plus de quarante ans, la monnaie n’est plus émise pour circuler, mais pour irriguer les bilans comptables des plus proches du pouvoir. Ce capitalisme-là ne récompense pas l’effort ou le risque ; il récompense l’accès au crédit bon marché, aux obligations d’État garanties, aux taux directeurs négatifs.

C’est l’effet Cantillon, théorisé dès le XVIIIe siècle. Quand l’État ou la banque centrale crée de l’argent, celui-ci ne se diffuse pas équitablement. Il va d’abord aux banques, aux gestionnaires d’actifs, aux marchés. Ces acteurs achètent avant que les prix ne montent, captant une rente monétaire invisible. Le reste de la population, elle, paie l’addition en subissant la hausse des prix sans compensation salariale.

Keynes dénonçait ce mécanisme dès 1919 : « Par un processus continu d’inflation, les États confisquent, d’une manière secrète et invisible, une partie importante de la richesse de leurs citoyens. » Hayek parlera d’un système où « les faibles paient les erreurs des puissants ». Les deux, paradoxalement, convergent dans leur diagnostic : l’émission discrétionnaire de monnaie est une injustice structurelle.

Depuis la crise de 2008, les banques centrales ont massivement gonflé leur bilan. En Europe comme aux États-Unis, la concentration patrimoniale s’est accrue : le 1 % détient désormais plus d’un tiers de la richesse nette. Le vice-président de la BCE, Luis de Guindos, reconnaissait en 2023 que le quantitative easing avait « alimenté des illusions monétaires et des bulles difficiles à résorber sans choc social ».

Bitcoin, à l’inverse, ne connaît pas d’émission discrétionnaire. Il n’a pas de robinet à orienter. Sa création monétaire est algorithmique, publique, répartie, sans fusion entre planificateur et entrepreneur. Il empêche la captation du pouvoir monétaire. Il prive les États comme les banques de l’arme de dilution silencieuse.


III. Rareté, déflation, et justice économique

Le plafond de 21 millions n’est pas un fétichisme numérique. C’est une barrière contre l’arbitraire. Un pacte de confiance écrit dans le code. Une promesse : votre effort ne sera pas dilué demain par un décret ou une crise.

Contrairement à la peur qu’inspire souvent la déflation, celle-ci peut être saine. Entre 1870 et 1914, les prix baissaient lentement, mais les salaires réels augmentaient. Les progrès techniques réduisaient le coût des biens. Les épargnants prospéraient. Il n’y avait pas d’inflation, et pourtant, il y avait croissance.

Des économistes comme George Selgin parlent de « productivity deflation » : une baisse des prix causée non par la récession, mais par l’efficacité. Dans un tel système, thésauriser devient rationnel. Le pouvoir d’achat du travail augmente au fil du temps. La monnaie devient une réserve de valeur stable, pas un outil de dépense forcée.

Bitcoin formalise cette logique. Il transforme le gain de productivité en richesse partagée. Pas par redistribution coercitive, mais par la structure même de sa rareté. L’épargne devient une stratégie viable pour tous – pas seulement pour les actionnaires ou les spéculateurs.

Et surtout, il protège le travailleur. Celui qui ne peut pas jouer sur les marchés, qui n’a pas accès aux fonds, aux hedge funds, aux produits financiers sophistiqués. Celui-là voit son pouvoir d’achat enfin stabilisé. Dans un monde où tout le pousse à la consommation immédiate, Bitcoin lui donne le droit de ralentir, d’épargner, de choisir.


IV. L’absence d’usure : vers une finance éthique

Depuis des siècles, l’usure a été condamnée par les traditions philosophiques, religieuses et politiques. Aristote, la Torah, le droit canon, l’Islam : tous y voyaient une forme d’exploitation du besoin d’autrui. Karl Marx ira plus loin en qualifiant l’intérêt pur de « fétichisme du capital ».

Mais dans l’économie moderne, cette critique s’est effacée. L’intérêt est devenu une norme. Même les plus pauvres, même ceux que l’on prétend « inclure », sont acculés à emprunter à des taux écrasants. En Amérique latine ou en Asie, les micro-crédits dits « inclusifs » affichent des taux allant jusqu’à 70 %. L’outil d’émancipation est devenu un piège.

Bitcoin rompt avec cette logique. Il ne distribue pas de rendement. Il ne repose pas sur une dette à rembourser. Il ne génère pas de rente automatique. Il ne permet pas de se nourrir du seul fait de posséder. La monnaie ne produit rien par elle-même. Elle est une unité d’échange, un moyen, pas un levier de domination.

Prenons un exemple : un ouvrier philippin gagnant 5 € par jour peut, via le réseau Lightning, épargner chaque jour 1 € en satoshis, sans frais, sans compte, sans permission. En fin de mois, il a stocké la valeur de son travail sans dépendre d’un tiers. Aucun intérêt ne vient lui rogner son effort. Aucun créancier ne peut lui réclamer une part.

Ce qui relevait autrefois du rêve – une finance sans rente, sans capture, sans chantage – devient réalité technique. Bitcoin incarne, en silence, la mise en échec de l’usure.


V. Conclusion : la monnaie au peuple

Bitcoin n’est ni un parti, ni un drapeau, ni une utopie. Il est un protocole. Un langage. Une règle partagée. Mais c’est précisément cette règle qui change tout : elle ne reconnaît aucun privilège, ne se plie à aucune injonction, ne discrimine aucun utilisateur.

Ce n’est pas à quelques-uns de dicter la monnaie de tous. Ce n’est pas à une élite de choisir le moment, le montant ou la forme de la création monétaire. Ce droit, Bitcoin le retire à l’humain, pour le confier à une horloge mathématique.

Il ne promet pas la fin des inégalités. Il ne supprime pas la lutte des classes. Mais il ôte une arme majeure aux puissants : la possibilité de trafiquer les règles du jeu monétaire.

Libertaires, socialistes, communistes, keynésiens des origines peuvent y lire un espoir commun : celui d’une monnaie qui ne ment pas. D’une économie sans privilège invisible. D’un outil universel d’émancipation, que nul ne peut censurer ni confisquer.

Adopter Bitcoin, ce n’est pas seulement télécharger une application. C’est cesser de demander la permission d’échanger, d’épargner, de construire. C’est reprendre, pas à pas, la maîtrise de son temps, de sa valeur, de son destin économique.

Dans Le Capital, Marx écrivait que « la bourgeoisie forge les armes de son propre tombeau ». Peut-être que l’une de ces armes est déjà là : non pas dans une usine, mais dans une ligne de code. Non pas dans une barricade, mais dans un bloc horodaté.

Bitcoin est cette faille dans le monopole. À nous d’y bâtir un commun.

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